Georges Ligabue est un joe bar devant l’éternel.
Je ne pouvais pas commencer cet article autrement. Un soir, sur notre page Youtube, nous recevons un message privé afin de créer un équipage side-car basset. Quelques heures plus tard, un coup de fil de mon comparse gérant le compte YT tombe. S’ensuit la conversation que voici :
« -Adrien, y a un mec qui veut que tu te présentes à une sélection basset. C’est petit pour faire des courses ? »
« -Non, pas spécialement. J’ai juste la place pour les jambes et de quoi m’allonger. »
« -Ca ne lui fait pas mal au chien d’avoir quelqu’un sur le dos !? »
« – ?????????!!!!??????? »
On ne part pas tous avec les mêmes références. Cela-dit, je suis certain qu’en fouinant le net, il doit exister des courses de petit chien saucisse.
Evidemment, la proposition était de venir courir sur un side-car F2 de compétition. D’ailleurs celui qu’on me propose d’essayer à fait le TT de l’Isle of Man et pourrait courir en FSBK. Nous sommes donc sur des engins énervés, compétitifs et à ne pas prendre à la légère.
Revenons à cette proposition. Après quelques échanges, Georges me fait comprendre qu’il recherche un Pass (amicalement prénommé singe), pour la saison 2013. Il prend note de ma criante inexpérience en compétition et me propose de le rejoindre le week-end du 02 Mars 2013 lors d’une journée de roulage sur le circuit de Pau-Arnos.
Faut l’avouer. Mes informations sur le personnage sont minces et à peine plus larges sur la discipline side-car. Peu importe, l’occasion est bonne pour se faire un peu de mal et ce n’est pas tous les jours qu’on se fait débaucher. Ce qui fait monter ma cote dans le side-car, de nullissime à nul.
Une combarde intégrale, des bottes, des gants et un intégral plus tard… me voilà sur la route direction Toulouse. Pit Stop en famille, la vieille du rendez-vous afin d’y récupérer deux photographes remplaçants.
Le lendemain, réveil 5h30. J’embarque mes complices et nous prenons la route. Les kilomètres défilent, l’aube émerge et nous avons tous les trois la même pensée. Allons-nous rentrer à 3 !? A l’approche de la piste, la concentration commence à prendre le pas sur la déconnade. Nous franchissons les grilles du circuit, le ciel est magnifique. Le type de journée où tout est censé bien se dérouler.
Georges est là. Discutant avec des curieux et des pilotes motos qui laissent leurs montures ronronner dans les paddocks. L’homme semble serein. Il prépare paisiblement le basset, comme si son futur pass était multiple champion du monde.
Une sérénité troublante car si je devais embarquer un pass à 160km/h sur une machine qui pèse au mieux 300kg, j’aurais eu la mauvaise idée de me poser quelques questions sur la préservation de mon intégrité physique. Que nenni ! Georges ne semble pas se préoccuper de ce détail.
Il est là. Calme. Il me présente la machine, puis sa femme. On discute quelques minutes, il m’accompagne pour régler la paperasse et m’adresse très tranquillement un « t’es prêt ? ».
J’avais envie de répondre : « Bah non ! Je vais monter sur une machine que je ne connais pas, avec un pilote que je ne connais pas et j’apprends que tu débutes aussi dans le pilotage d’un side-car « basset » F2 600cc ! As-tu envie de mourir Geoooorges !? »
Je n’ai rien dit de tout ça. C’est finalement une belle journée pour mourir (réf, car personne n’avait de pensée suicidaire).
Nous y sommes. Le fameux moment où tu penses que le mec se fout de ta gueule. Était-il prêt à se trimbaler un parpaing de 80kg !? Pourtant, un simple « oui » a suffi à me replonger dans toutes mes années d’athlétisme. Ces instants juste avant le coup de feu, où ton cœur frappe fort mais au juste rythme pour optimiser le mélange d’oxygène et préparer la pompe à l’effort. Ce moment avant que le départ t’offre un shoot d’adrénaline et te permette de voir le monde au ralenti. Chaque mouvement devenait effectivement plus clair. J’étais prêt !
Départ ! J’entends la rafale du 7D tenu par Nico, c’était le coup de feu qu’il fallait. Le miroir de l’appareil photo claque une dernière fois, et nous sommes déjà dans le premier droite. Le basset accroche, je donne de l’appui en sortie de virage et dans la descente. Virage gauche, je tente de m’extraire avant de repasser sur la droite… les virages s’enchaînent, ça va vite. Les premières prises ne sont pas sûres, je cherche encore mes marques, à deux doigts de rater les poignées.
Georges courait pour régler le basset, pas pour jouer. A ce moment précis, je prends conscience qu’il n’est pas là pour m’épargner. Il faut combler le retard, l’inexpérience, affiner mes positions avant la fin de journée si je veux faire l’affaire. A l’entame du deuxième tour, mes jambes sont gênantes, elles empêchent le mouvement du bassin, plus le choix, il faut que je sorte les chevilles du basset pour gagner en réactivité. Les pulsations sont élevées, les muscles tendus et nous avons à peine parcouru 6km de circuit.
Au moment où je sens que mes bras deviennent moins réactifs, légèrement lactiques. Une panne salvatrice survient.
Une fois le side-car ramené au paddock, je me demande si j’ai les capacités physiques. Ca fait de nombreuses années que j’ai arrêté l’entrainement intensif. Treize années à user mes pointes sur les stades d’athlétisme, dix ans dans l’armée… et je suis lactique au bout de deux tours. Il faut avouer qu’a ce moment là, j’ai un gros moment de flottement. Sans rien dire, je sens paradoxalement que ça me fait bouillonner, mes poings se serrent et sous le casque les larmes montent. Impuissant et rageur de sentir mon corps spectateur.
La suite tient de l’égo. Il était hors de question d’échouer lors d’une journée d’essais. Nous sommes au minimum à vingt secondes du meilleur temps, deux tours seulement de parcouru et physiquement ça tire. C’est tellement nul, que je ne peux qu’améliorer les choses.
La deuxième session est prête à partir, nous démarrons de plus belle mais plus question de subir. Chaque virage est rentré plus fort, chaque changement de position est plus violent. Il faut apprendre et apprendre vite. Il est vital de lire la piste et de l’assimiler dès les premiers passages. Les courbes défilent, ma position est meilleure même si quelques ratés de poignées ont failli m’éjecter de cette lessiveuse. Au bout du troisième tour, nouvelle panne. La messe est dite, la fin de journée se fera sans basset.
C’est une déception. La réalité du manque de préparation physique est sans appel. Etre le singe d’un ancien pilote moto doit être pris au sérieux si je veux arrêter de le ralentir. Le side-car F2 se pilote seul, mais ne peut aller vite qu’a deux. Les déplacements du passager parasite la conduite ou l’optimise, notamment sur l’appui en virage et en sortie de ce dernier.
Si on peut attribuer la finesse du freinage, de la trajectoire et la gestion des gaz au pilote. Tout le reste c’est le boulot du singe. Vitesse de passage en courbe, accélération en sortie, aérodynamisme et stabilité du duo. Je dirai même du trio car le side-car est un engin vivant, pourvu de son propre caractère.
Pendant que nos camarades continuent de tourner, nous montons le F2 sur la remorque et nous filons récupérer le side-car de rallye routier. Le timing est serré, il faut être de retour pour la session de 15h et nous avons tout juste le temps de faire le voyage.
Cet interlude me permet de découvrir mon pilote, son passé, ses anciennes ambitions et dans quel esprit il compte courir. Car oui, il s’agit tout de même d’être capable de boucler les courses et la saison.
Il semblerait que nous soyons sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’esprit de compétition. Partageons nous le même French Flair ? Peu importe la couleur de la médaille, il faut qu’elle ait de la saveur. C’est peut-être le discours d’un perdant, comme le penseront certains, mais j’ai toujours préféré une belle bagarre perdue, à une victoire douteuse.
15h sonne. Nous revenons tout juste sur la piste, et là, surprise. Des pilotes viennent à notre rencontre, nous poussent vers les combinaisons pendant qu’ils se chargent de préparer notre attelage. Cinq minutes après avoir ouvert les portes du fourgon, les gars avaient descendu et préchauffé le side… Je découvre la solidarité des sidecaristes et des pistards.
15h05, revanche. Georges m’a précisé juste avant que cette monture-là, il l’avait dans la peau. Ce qui sous-entendait : « Mon gars, prépare toi à descendre une bouteille de Synthol après notre virée ».
Autre leçon du jour. Mon co-équipier ne ment pas.
Comment vous l’expliquer ? Les deux dernières sessions sont passées toutes seules. Nous allions pourtant plus vite mais le geste commençait à s’affiner. Olivier, pilote d’un autre équipage, m’a expliqué le moment où tu obtiens ta fenêtre pour décrocher de ta position. Il m’a fallu attendre l’après-midi pour saisir ce dont il parlait. Ce petit moment de flottement qui permet de te positionner au mieux.
Au fil des tours, la technique semblait s’acquérir doucement. N’appréhendant pas les sorties du panier et voir la piste à quelques centimètres, ça m’a permis d’assimiler la formation rapidement. Le pif-paf du bout de ligne droite est désormais passé pleine balle.
A la fin de la journée je ne savais pas si ma prestation avait été suffisamment convaincante pour mon pilote. Cependant, cette expérience permet de remettre en perspective d’autres disciplines.
Il m’arrive de me demander pourquoi les médias et les sponsors ne financent pas plus ce sport complètement fou? J’ai eu la chance, l’espace d’une journée, de m’immerger dans une discipline qui demande de la solidarité, une confiance mutuelle et un engagement physique intense. Sans oublier, le sens du spectacle.
Il est très probable que nous participions au Rallye de Montpellier le week-end du 15 mars 2013 afin de se tester sur une épreuve de Rallye routier.
Serait-ce le début d’une improbable aventure ?
On se retrouvera sûrement au début du championnat de France de F2. J’ai ma licence FFM.